grille de critique

Publié le par Jean von Roesgen


  En composition de chant, il y a trois manières de rendre les accents (toniques d'un texte en français):

 L'envol mélodique: une note plus aiguë (*). Cela correspond peut-être au mieux à la nature des accents (finaux en général) en français. L'accent mélodique.

 La longueur: une note plus longue que les autres. Comme il n'y a pratiquement pas de longues et de courtes (attention, je ne parle pas de muettes ici) dans la langue française, on a la possibilité de rendre les accents toniques par des accents de quantité (de taille ou de mesure).

 Les premiers temps: Pratiquement tous nos chants sont construits sur des rythmes réguliers de danse, de marche (militaire) ou de procession (dans le meilleur cas d'une utilisation liturgique), dont les premiers temps sont des temps forts. Ces temps forts peuvent servir à scander les accents dans un texte, l'accent tonique s'identifiant du coup avec cet accent métrique ou rythmique ("métrique" pourrait se dire aussi pour l'accent de quantité).
 Ce procédé a quelque chose d'assez peu naturel, d'assez peu organique, et pour y échapper, on peut introduire un rythme verbal (il faudrait dire phrasal) libre, un battement irrégulier à deux, trois, ou plus de temps... ou pas de battement du tout, l'absence de sentiment de premiers temps forts...) (c'est le fort du chant grégorien... si on ne lui réimpose pas un carcan de rythme régulier binaire et ternaire à rude battue...)

 (En réaction à cette troisième manière, ou d'une certaine manière en combinaison des deux dernières, on a encore la possibilité de l'accent syncopique, à contretemps plus long... et la possibilité de l'accent d'anticipation du premier temps, une espèce de syncope d'anticipation... Personnellement je trouve que ces effets brouillent les pistes, et portent atteinte à la "lisibilité" du chant, à son entendement, sa compréhensibilité, mais ils sont fréquents dans certains cantiques jazz des années 50/60 et dans pas mal de répertoire du renouveau... Ils on l'avantage de casser le carcan rigide des accents rythmiques (souvent l'abbé Marcel Godard s'en sert pour composer un chant plus proche du rythme libre du phrasé), mais, paradoxalement, cette liberté, en générale, ne fait qu'affirmer le carcan de la danse, parce qu'elle en est fortement tributaire. Un peu comme la musique atonale était tributaire et finalement "confortant" de la musique tonale.)

 (*Une cinquième possibilité pour accentuer une syllabe dans le chant, en lien avec la première, d'ordre mélodique, peut être d'ordre chromatique: coloration mélodique de la syllabe accentuée moyennant une note mélodiquement inattendue, mélodiquement extravagante: accent chromatique, si l'on veut... si on entre dans le détail du traitement mélodique, il faut signaler bien sûr aussi la possibilité de notes préparatoires (cadences ou sensibles (jeux de chromatisation avant l'accent) d'un accent mélodique...)

 L'art de mettre en musique un texte consiste à jongler et jouer surtout avec ces trois premiers moyens. (Il ne s'agit pas d'en faire une application bête et simpliste, l'art reste libre bien sûr, mais il ne s'agit pas non plus de faire systématiquement ou ignoremment le contraire de la grammaire de ce langage musical...) En examinant la manière dont certains cantiques arrivent, par ces trois moyens de composition, à rendre ou à ne pas rendre les accents toniques de leur texte, l'examen critique de l'application de ces trois manières à lui seul suffirait déjà à ne plus conserver un certain nombre de chants jetables par trop maladroits. (Une telle grille de lecture/d'analyse toute simple aurait l'avantage d'éviter les trop fameux (et trop pauvres) critères des "j'aime/j'aime pas..." et de ne pas avoir à jouer l'inquisiteur sur toutes les faiblesses doctrinales des textes de nos cantiques... ou à jouer &l'esthète poétique écoeuré par le niveau littéraire ... (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faudrait pas faire ce travail...))

 
 Exemple? "LEEES mains ouvertes devant toi Seigneur, POOOOOUUUUUR t'offrir le monde": Premier temps (long en plus) sur deux syllabes manifestement pas accentuées en français. Pour comble, POUR prend un accent mélodique qui ne vient pas l'arranger. Même sort pour "EEEET disponibles comme une eau" à la fin du premier couplet: Tous les trois coups d'accentuation pour une syllabe qui ne porte pas d'accent que je sache en français... 

 "Ils cherchaient un ami" fait un emploi judicieux d'accent syncopique "Ils cherchaient un amI, quand Jésus est passÉ" sur le i d'ami et le é de passé. Ce n'est pas à mon goût, cela donne une espèce de secousse brésilienne à ce chant (de catéchisme?) ce qui le rend impropre à l'utilisation liturgique. Le début des couplets est vraiment faible. "JEsus connaissait..." fâcheux accent de premier temps sur la première syllabe de Jésus.

 (Il ne faut pas croire que les anciens cantiques échappent à ces faiblesses: "LE voici l'agneau si doux..." accent militaire sur LE, mais ces cantiques ont l'avantage de ne plus être à la une de nos liturgies... contrairement à "VOI(accent métrique)ci le corps et le sang de JÉ(accent mélodique)sus (*)..." J'apprécie bien dans ce chant de communion très à la mode le côté précieux que lui donne cette accentuation: VOIS-ci (il faut s'imaginer un nez pincé le dire au 18e siècle) et l'accentuation de JESus comme en latin: Bone Jesu ou Pie Jesu.)
 (* tiens, je me suis bien trompé: Il n'est pas question de Jésus dans ce chant, mais du Seigneur, car c'est : Voici le corps et le sang du SEI(accent mélodique plus fort que l'accent de premier temps long sur)gneur (qui tombe manifestement sur une espèce de thesis mélodique...) Ca va bien avec le même nez pincé du coup pour accentuer SEIGneur. Ce chant me fait toujours penser à une compétition de voitures de courses, avec des accélérations rapides, des creux de changements de vitesse, de la ligne droite, et ça reprend et dérape un peu dans le virage avant de continuer...)

 Pratiquement tous ces cantiques qui ne commencent pas sur une levée (les adaptations de textes français à des mélodies chorales allemandes ou anglicanes sont mortelles à cet égard) sont mal partis en français, où rarement, mais vraiment rarement la première syllabe d'une phrase porte un accent de temps fort.
 Mis à part tous ces trop fameux cantiques commençant par Peuple, qui accentuent le peuple avant de savoir du peuple de qui il s'agit, ou de savoir si c'est le peuple qui est le plus important, ou celui qui le rassemble... même là, la musique est responsable des accents qu'elle met... ce n'est pas toujours l'interprétation qui saura rattraper ce qui est mal écrit... d'autant moins que vous venez de dire aux enfants à la répétition de ne pas accentuer "Conduis nos pas vers LE (accent mélodique) Seigneur..." et que lors de la célébration, le célébrant LE braillera bien fort dans son micro d'autel. Normal: C'est lui qui a choisit ce chant.

 P.S.:
 Tu ES (Accent mélodique, de longueur et de premier temps fort) notre Dieu (accent tout juste de longueur), et nous sommes ton peuple, OU(premier temps)vre nous...
 Oui, c'est moi qui ai choisit ce cantique et on le chantera ce dimanche (12e temps ordinaire A), à moins que ma collaboratrice en trouve un meilleur. Je l'ai choisit parce que l'assemblée le connaît bien (parfois je n'ai plus le courage d'entendre la ritournelle: On ne connaît pas ce chant...), et qu'il exprime bien, de par son texte, au premier couplet, que nous sommes des moineaux dans les mains de Dieu.
 En même temps, le compositeur n'a rien fait pour enlever l'ambiguïté du texte qui peut faire entendre: "Tuez notre Dieu ... et assommez son peuple..."
 S'il avait cummulé tout ces accents de "ES" sur le "Dieu" qui suit, on aurait peut-être échappé à ces malentendus.
 Pour les couplets, le problème de la composition juste est bien sûr plus difficile, parce que de couplet en couplet, le texte soumis à la musique change. Ainsi par exemple l'accent (juste de premier temps, mais on le sent très fort) manifestement faux à la fin du couplet sur "le LEvain" (1r couplet) "viens BRIser" (2e) et "l'haBILler" (3e) se ratrappe et tombe bien pour le dernier couplet: "déMASque".

 Ce matin, les carmélites figaceoises avaient choisi, pour la fête de Conzague ce très bel hymne "Nul n'est disciple" avec la mélodie de Berthier. Je me suis heurté à l'accent mélodique manifeste (accent de longueur sous-latent, en tout cas il n'y pas de raccourcissement de la note qui viendrait atténuer son élan mélodique) sur: "qui DANS le frère...". Là aussi, ça tombe un peu moins mal au dernier couplet: "car TOUT apôtre..." Je me demande si ce n'est pas aussi une question de polyphonie. Que ces auteurs entendent tout un tissus harmonique, et nous, on n'en retient que la voix supérieure qui à elle toute seule décoiffe par endroits.
 Si on lit cet hymne en ré mineur, avec si bémol à la clé donc, il aurait suffit de chanter fa au lieu de ré et sol au lieu de do sur "dans le", on aurait gardé les mêmes accords d'accompagnement indiqués sur la partition que j'avais sous les yeux ce matin (si bémol majeur et do majeur). Et à la finale, ce serait plus juste de monter au ré par une quarte au lieu d'y descendre par une quinte. De toute façon, en français, les descentes finales à la tonique ou à la finale des modes posent problème. Autant les premiers mots d'une phrase sont rarement accentué, autant les finales le sont.

  L'autre jour, lundi 21.06.2008, le Père Louis Durand, après la messe à Rocamadour, nous proposait comme chant pour lancer l'adoration:
J'ai reçu le Dieu vivant (D29)

 Est-ce que c'est ce genre d'ancien chant vernaculaire dont il prétend qu'ils tiennent la route?

 On le trouve encore dans notre parolier, mais pour en trouver la partition,  vous pouvez toujours chercher... J'ai l'impression qu'il n'a plus été publié depuis les chants notés de 1959, et je ne crois pas que c'est juste une question de passation de droit d'auteurs.

 J'ai
(accent mélodique-après ça descendra bien, accent de premier temps -à moins qu'il faut décaler les barres de mesure, mais ce qu'on entend en générale à l'exécution de ce chant, c'est bien un premier temps fort sur "j'ai" et l'accent de longueur n'est pas écarté non plus... ni reçu ni Dieu n'a plus de poids de durée... C'est pour affirmer moi-je dès le début de ce cantique?)
reçu
(sur cette voyelle malgré tout accentuée en français, on se trouve au plus bas de la montagne russe que nous propose la mélodie de ce chant...)
le Dieu
(premier temps, mais pas de mise en relief, ni mélodique, ni de durée...)
vivant.
(Là, l'accent y est: anticipé sur le temps mi-fort de la demi-mesure, longueur et envol mélodique.)
Et
(premier temps fort, heureusement pas d'envol mélodique ni de durée... il ne manquerait plus que ça: de la pointer...)

... après ça va. Mais il faut avouer quand-même qu'il s'agit d'un mauvais départ.

... pour une adoration.

 Ce chant me donne envie de vomir, il imite presque les sonorités de rétention et de relâchement quand le ventre se tord... et d'ailleurs c'est un des effets des montagnes russes, non? Si c'est tout ce que la réception de la communion a pu inspirer à l'auteur de ce chant, c'est triste et scandaleux...

Publié dans musique

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