bouffée d'oxygène et d'autre gaz

Publié le par Jean von Roesgen


Le silence et le non-recevoir,
... c'est ce qu'obtenaient avant le concile ceux qui revendiquaient plus de vernaculaire.
... c'est ce qu'obtiennent après le concile ceux qui demandent plus de respect de la Tradition dans nos liturgies.

 Le concile n'aurait-il donc rien changé dans le fond profond des mentalités, lui qui insistait tellement sur la métanoïa, la conversion du coeur, et non des activités extérieures?

 Pour de nombreux fidèles, la traduction en vernaculaire des liturgies était une grande bouffée d'oxygène. Je ne remets pas en question cette bouffée, ce relancement, cette libération, mais je me demande pourquoi cette bouffée se sentait obligée d'étouffer tous les trésors de la liturgie latine (il y en a qui sont intraduisibles: le chant grégorien) et pourquoi elle s'est fermée le regard objectif sur plein d'autres acquisitions liturgiques et pastorales de la Tradition et s'en interdit l'accès.

 Pour moi, une messe où on ne serait pas incarcéré dans le répertoire des cantiques des années 60-80, où on ne serait pas écrasé au micro par le récit de l'institution de l'Eucharistie, où la face du prêtre n'obstruerait pas mon regard ouvert vers la levée du Christ à l'orient, serait une grande bouffée d'oxygêne, mais je n'en ferais jamais une revendication systématique qui étoufferait tout ce que nous avons vécu entre 1964 et 1978. On devrait faire le tri, et continuer à évoluer au plus organiquement possible en regardant les résultats et fruits pastoraux.

  Cela demande plus de travail bien sûr que la machination d'une exécution succincte et éphémère, et la réduction de la liturgie en deux castes: ceux des années 50 (Lefébristes et vetus ordo du motu proprio) et ceux des annes 70 (abus du novus ordo)... parce qu'un vrai novus ordo, c'est devenu très très rare...

 Souvent c'est cette même génération libérée du poids de la tradition dans les années 60 qui n'a pas su transmettre sa foi à ses enfants. Les fruits pastoraux sont de cet ordre là. Je résume ce phénomène en générale par l'image de l'arbre: Comment une branche coupée du tronc et des racines, peut-il transmettre la sève à ses feuilles?

 Ah, si on pouvait enfin sortir de ce fâcheux fonctionnement intégriste du tout ou rien. L'intégrisme, c'est ce blocage là: le bloc intègre, sinon rien. Tout ou rien. Intégralement ceci à l'exclusion de l'autre, ou intégralement l'autre à l'exclusion de ceci... ou tout léfèbriste et traditionaliste, ou tout arrêté dans la liturgie des années 70 sans latin ni chant grégorien...

 Les dogmes, depuis toute tradition montrent un autre chemin:

Tout ou rien: Le Christ est homme et rien d'autre. Le Christ est Dieu et rien d'autre. (Tout est compris, rien n'est compris.)
 Le dogme: Le Christ est tout homme et tout Dieu.
Cela laisse ouvert et vivant le mystère (qu'on ne comprend pas du coup, mais on peut en vivre).

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  On se dit catholique-romain. Si ce n'est pas un dogme, ce n'en est pas moins un paradoxe. C'est pas dans le credo toujours, où nous croyons en l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Dans le credo de Paul VI ne vient pas s'ajouter "romaine", c'est un peu dommage, mais c'est tout à fait dans l'Esprit du concile, parce que le contraire aurait renforcé les différences avec les églises catholiques orthodoxes grecs, slaves, arméniennes etc. N'empêche qu'il ne faut pas en conclure, que grâce au concile, l'église une catholique-romaine se serait transformée ou divisée en catholique-française, catholique-allemande, catholique-espagnole etc... Il ne faut pas croire qu'on ne l'a pas mentionné pour mieux respecter ces églises locales... L'unité dans la diversité est toujours, pour nous, église catholique romaine dotée d'un support romain (et donc latin, et d'où l'importance de ce latin). Ca peut déranger, parce que c'est dérangeant, ça peut choquer, parce que c'est choquant et paradoxale.
 D'après mon avis, sans exclure les autres écclésialités catholiques orthodoxes, anglicanes ou que sais-je, nous aurions pu et dû préciser, nous, églises catholiques romaines, que nous sommes romaines avant d'être françaises, allemandes, espagnoles etc., et que nous ne sommes pas catholiques françaises, allemandes, espagnoles etc. au même niveau que d'autres catholiques sont orthodoxes parce que notre catholicité passe par la roma(i)ni(ci)té, comme les slaves, grecs et arméniens passent leur catholicité par l'orthodoxie (qui n'est pas une unité de langage verbal, mais apparemment iconographique -mis à part bien sûr des unités administratives et hiérarchiques qu'eklles représentent...).

 (Le reproche de l'étranger, que je serai resté dans mon pays d'adoption, comme le reproche de venir imposer ma langue dans la liturgie n'arrivent pas à faire ces distinctions... Je ne suis pas un allemand qui vient imposer son allemand dans une liturgie française, mais je suis quelqu'un qui, aussi bien en Allemagne, qu'en France, où ailleurs demande ce qu'il en est de notre roma(i)ni(ci)té. On me répond: Nous ne sommes pas à Rome ici. Mais on n'est pas à Rome, comme on est à Paris, mais l'église de Paris est en roma(i)ni(ci)té, comme l'église de Rome est en roma(i)ni(ci)té, pas plus, ni moins... C'est demander trop d'effort de différenciation? Si c'est trop d'effort demandé, moi je trouve que c'est trop de paresse étalée...)

 Revenons au paradoxe: Nous sommes universellement ouverts moyennant le fermeture dans le latin et la roma(i)ni(ci)té (et oui, il faut avouer, c'est un certain bagage d'empirisme romain, d'administration romaine qui marche...) c'est la fermeture dans le latin et la roma(i)ni(ci)té qui nous ouvrent à cette universalité. Les deux vont paradoxalement ensemble: la restriction latine permet, porte, favorise la "destriction" (ouverture) universelle. Bien sûr que cela influence les caractéristiques de cette administration et de cette langue, et l'oblige en elle-même à une ouverture énorme, mais ça oblige aussi l'universel de se plier dans cette langue et cette culture, qui n'est plus une culture, une langue d'un peuple, mais d'une foi. La latin doit quitter les habitudes de son pays (pour faire place à l'italien) pour devenir la langue habituée à tous les pays.

  Dans l'Evangile d'aujourd'hui (samedi de la XIIe semaine du temps ordinaire) je trouvais extrêmement parlant le rapport déjà de Jésus au centurion romain. Les apôtres n'ont pas attendu la mort (exécuté par des romains: latins: quel mystère, il y a un romain dans notre credo...) de Jésus pour aller proclamer la bonne nouvelle aux romains. Cette proclamation s'ébauche déjà dans les rencontres de Jésus  lui-même, pendant sa vie publique, et plus tard dans sa passion. Cette langue et cette culture mérite sa première place, même si du fait d'avoir la première place, elle arrête d'être la culture d'un peuple et d'une nation, et devient la culture et la langue de tous les peuples et de toutes les nations, et se re-module et se convertit en fonction. Dans ce latin, nous sommes tous étrangers à nos pays et familiers d'un royaume qui n'est pas de ce monde.
 
 Comment oecuméniser ce propos pour/avec les autres catholicités, c'est une autre question. Je trouve que la complémentarité d'une parole (d'un écrit) et d'une image, d'une langue verbale et d'un langage iconographique pourrait déjà être une piste... En éclatant notre unité catholique-romaine, en tout cas, je ne suis pas sûr que nous contribuons à l'unité avec les autres catholicités...

P.S. (01.07.2008) D'une langue à l'autre, dans l'histoire des inculturations de la mission de l'Eglise, passant de (restant dans) l'araméen au grec (qui déjà était une langue "biblique" en diaspora juive), et du grec au latin (ou du grec au salve, copte, syrien...), dans le fil de l'Eglise catholique romaine (là je ne pense qu'à cette filiation: araméen, grec, latin), jusqu'au 20e siècle, les inculturations et missions qui se suivaient avaient toujours le souci d'aller de particularismes à quelque chose qui serait plus universelle. Cela obligeait et les particularismes de de départiculariser, de s'universaliser, et ça obligeait l'universalisme de se réadapter (mais universellement) aux nouveaux acquis. Le romain, le latin, d'une certaine manière se désinculturait (de son pays, de son histoire, de ses habitudes), ou mieux dit: il s'universalisait, oui, et le romain, le latin, inculturé dans d'autres pays ré-influençait le latin à Rome.
 Mais cela n'allait pas dans le sens de traductions d'un universalisme dans différents particularismes qui perdent conscience de leur devoir d'universalité et de leur droit au retour vers l'universel, grâce à leurs leur particularismes purifiés universalisables.


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 Il ne faut pas croire que je suis un frustré de vocation. La vocation ce n'est pas une envie individuelle, qu'on pourrait frustrer (je n'ai jamais compris les collègues au séminaire qui avaient peur de ne pas être ordonné, et qui se comportaient en fonction, par contre j'aurai tendance à les suspecter d'avoir été, quelque part, mal, aliéné ou entêté dans leur vocation, et je me demande si cela ne risque pas de produire du clergé un peu mythomane), c'est un dialogue entre une vie d'église interne (forum internum, le Christ en nous) et une vie d'église externe (forum externum, le Christ dans l'Eglise). Et ce dialogue peut être plus ou moins heureux ou tortueux, mais ce n'est pas autre chose que le dialogue entre la voix (et voie) du Père dans le coeur de Jésus et la voix (et voie) du Père dans le coeur de son peuple élu, et on sait la torture que ça a engendré, torture que le Père a porté en son Fils, et le Fils dans le Père. Il fallait que Jésus suive cette voie, et il l'a suivie jusqu'au bout. C'était sa ... vocation.

 De toute façon, les raisons de constatation de non-vocation de la part de l'église sont parfois aussi cocasses que contradictoires. Ancienne appartenance à l'action catholique française, tendances traditionnelles après le concile, tendances 'modernistes' avant le concile, Weltfremdheit était une raison que j'ai vue à Trêves: Le fait d'être (trop) étranger au monde... alors que ça pourrait être une qualité évangélique...

 Cette mère de séminariste avait raison de regretter que son fils n'apprenne pas d'abord un métier de ce monde avant de se lancer dans la voie de la prêtrise, parce qu'une fois lancé, la peur de ne pas être ordonné est liée à la peur de ne pas arriver à se débrouiller dans un métier séculier (cette peur peut bien sûr tout précéder, et être entièrement justifié... et même tout à fait faire partie de la vocation... c'est instructif malgré tout de voir Jésus pratiquer un métier jusqu'à une certaine maturité avant de se lancer dans la propagation du Royaume de Dieu...). Alors par peur de ne pas être ordonné, toute une génération jouait le jeu du latin qu'il détestait, et ce n'est qu'après l'ordination qu'ils pourront aller dire à l'évêque: "Je vous remercie de m'avoir ordonné, mais je ne comprends toujours pas pourquoi on se sert d'une langue morte pour prêcher un vivant, et de la langue vivante dès qu'il s'agit de demander du fric..." Et une bonne (double?) dizaine d'années plus tard, il fallait dans certaines églises mentir sur ses préférences liturgiques traditionnelles pour être ordonné.


 J'aime le chemin et les détours de ma vocation, et je ne m'accuse ni moi de ne pas m'être plié à certaines contraintes qui me paraissaient contraires à ma conscience, et ma voie, ni l'Eglise de ne pas avoir fait des concessions, ou que sais-je. Parfois je constate certaines contradictions fatales entre ce qu'elle dit, comment elle le dit, et ce qu'elle fait et comment elle le fait. Comme Jésus a dû constater de ces contradictions dans son peuple. Et je ne me suis sûrement toujours pas convertit moi-même de toutes mes contradictions de pécheur.
 Je suis convaincu que ces détours et déboires ont leur sens et servent à la construction, à l'édification du Royaume. Peut-être que ce genre de détours sont plus constructifs que ce genre de peurs et de concessionalisme ou d'arrangements évoqués plus haut, qui risquent de faire des prêtres à double langage, faux-plafonds et port-à-faux.

 Si Monsieur l'abbé vicaire de Lacapelle me traîte de défroqué, il peut sentir une part de souffrance (que je ne nie pas non plus) dans les déboires de ma vocations, mais je ne me sens pas plus frustré de ne pas être prêtre que lui ne doit se sentir frustré de ne pas avoir été évêque.
 (A ce propos je me demande s'il n'y a pas la même ambiguité dans la vocation des évêques dans leur rapport à Rome et à leur peuple: C'est apprendre à jongler... et se comporter d'une certaine manière envers le peuple et envers Rome pour avoir des chances de ne pas être rejetté dans sa vocation... On va me dire, que pour l'histoire des vocations d'évêque, que c'est juste l'Eglise qui décide et fait le trie... même dans ce trie, il y a toujours les critères des représentans des églises locales, et les représentants de l'Eglise universelle, et il faudra toujorus, malgré tout une réponse de la part du candidat qui doit sentir cette vocation... au point de pouvoir se déclarer, devant une religieuse étonnée, évêque à mi-temps pour l'évéché de D. bien des années avant sa convocation par Rome...)
 
  Ce qui a changé dans mon attitude, pour les engagements de cette vocation, c'est qu'autrefois je partais avant d'être renvoyé, et qu'aujourd'hui, j'attends d'être envoyé.
 
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 Si ce qui fait autorité dans ma sanction du jeudi matin (qui n'est vraiment pas une punition, parce qu'elle me libère de beaucoup de contraintes) vient de l'évêque, ou si cette sanction tire son autorité de la bénédiction de l'évêque, il faut savoir que le père évêque n'a jamais demandé/entendu mon avis, ... Je lui avais écrit mes impressions sur deux cérémonies qu'il présidait, où je n'ai jamais eu de réponse, peut-être que ces écrits lui suffisaient?



Publié dans pastorale

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